Sucreries de Picardie
Le développement du « sucre indigène »
La production picarde de sucre de betterave reste réticente et expérimentale jusqu’aux investissements de François Crespel-Delisse, à partir de 1824. L’industrie sucrière de Picardie sort ruinée de la première guerre mondiale. Aujourd’hui, la région est le second producteur mondial de betteraves .
Récolte des betteraves
Crédits : Matière de Picardie
Sous l’Ancien Régime , la betterave est cultivée dans les régions du Nord de la France et un peu en Picardie. Olivier de Serres souligne déjà en 1605 la présence de sucre dans certaines racines, comme les navets, carottes et betteraves, mais à l’époque, la betterave n’est cultivée que comme plante fourragère. Il faut attendre la diffusion des expériences de Marggraf en 1747 et celles de Chaptal en 1800, pour que sa forte teneur en sucre soit mise en évidence et exploitée.
Le Blocus Continental et les débuts de l’industrie sucrière sous le Premier Empire
À la suite du blocus continental britannique (21 novembre 1806), Napoléon décide en 1811 de s’affranchir de l’importation de canne à sucre. Pour inciter l’implantation de la culture de betteraves et permettre ainsi la production de « sucre indigène », par opposition au sucre de canne, Napoléon Bonaparte fait publier deux décrets importants en 1811 et 1812.
Le premier décret du 25 mars 1811 prévoit purement et simplement, que le sucre de canne importé soit remplacé par un « sucre indigène » dès le 1er janvier 1813. Au début de l’année 1812, en s’appuyant sur les travaux de Marggraf et de Achard, Benjamin Delessert met au point avec l’aide de Nicolas Deyeux, une méthode d’extraction du sucre de betteraves, qu’il nomme méthode Bonmatin. Le principe est appliqué pour la première fois dans l’usine de Passy, en présence de l’Empereur. Quelques jours à peine après avoir assisté à cette démonstration, Napoléon prend une série de mesures pour donner corps à cette industrie naissante.
Le décret du 15 janvier 1812 constitue une véritable mobilisation agricole encouragée par des mesures fiscales et la création d’écoles de sucrerie. Il décide d’imposer à tous les départements de l’Empire la mise en culture de 100000 ha de betteraves et alloue un million de francs à l’Académie des Sciences pour accélérer la recherche agronomique.
Toutefois, l’introduction de la culture betteravière et la production sucrière restent globalement à un stade expérimental. Peu de départements respectent les quotas d’ensemencements d’une culture prometteuse mais encore incertaine. Par ailleurs, le manque d’expérience des cultivateurs ne permet pas d’obtenir des résultats satisfaisants de production.
Dans le département de l’Aisne, seuls 515 ha sont ensemencés contre les 1000 ha imposés en 1812. Dans ce département, huit sucreries sont été créées : Château-Thierry (fabrique Huet-Delacroix) et Laval en 1811, Soissons, Vailly-sur-Aisne, Fourdrain (Saint-Lambert) et Gouy (fabrique Coughouille installée dans une dépendance de l’abbaye Prémontré de Mont-Saint-Martin) en 1812, et Roupy (fabrique Arpin) et Rogny (fabrique Brindeau-Carlier) en 1813.
Les données relevées dans le département de l’Oise révèlent aussi du caractère très expérimental. Face au coût de transport des betteraves inadapté, plusieurs cultivateurs préfèrent donner leur production de betteraves à leur bétail. En 1811, seuls 30 ha de terre sont ensemencés dans ce département sur les 300 ha prescrits. Il n’existe alors qu’une seule fabrique de sucre, établie à Saint-Just-des-Marais par Chappelet. Son éloignement des terres de cultures et application d’un prix d’achat inférieur au coût de transport, conduit Chappelet à l’échec. La fabrique de Saint-Just est alors transférée à Aubervillers dès l’année suivante. La fabrique créée en 1812 par Vern et Pocholle, deux négociants de Senlis, souffre des mêmes erreurs et subit le même sort. La seule fabrique de sucre de l’Oise ferme ses portes en 1813.
La véritable naissance de l’industrie sucrière (1825-1835)
Après la chute de l’Empire et la fin des mesures incitatives, l’industrie sucrière est exsangue et ne doit sa survie qu’à la passion de quelques uns, comme Crespel-Delisse (1789-1864), qui œuvre ardemment à la diffusion des techniques de fabrication du sucre. Il est relégué par la publication en 1825 de L’art de fabriquer le sucre de betteraves par Dubrunfaut, ainsi que par la Société Royale et Centrale d’Agriculture qui transmets plusieurs exemplaires aux préfectures de l’Instructions et Programmes pour la propagation des procédés économiques à la fabrication du sucre de betteraves en 1836.
En Picardie, l’industrie sucrière est relancée en partie grâce aux investissements de François Crespel-Delisse. Il fonde la sucrerie de Villequier-Aumont (Aisne) en 1824, reprend celle de Francières en 1833, puis celle de Villeselve en 1835. Avant 1840, l’industriel se retrouve à la tête de six sucreries de la région.
Dans le même temps, sont également crées dans le département de l’Oise les sucreries de Villeneuve-sur-Verberie, dite du Murguet (hameau de Noël-Saint-Martin), où pour la première fois en 1876 sera mis en application le système de diffusion, la sucrerie d’Apilly, que Paffe établie à Estay, près du canal de l’Oise pour faciliter l’approvisionnement en combustible, et la ferme-école du Mesnil-Saint-Firmin. Entre 1830 et 1835, sont aussi créées dans ce département les fabriques de Montmartin, Muirancourt et Libermont, puis celles de Bresles, du Bornel et de Noyon en 1838.
À cette époque, l’industrie sucrière isarienne emploie près de 200 personnes. Malgré la loi de 1835 sur la vicinalité, qui oblige les cultivateurs à remettre en état les routes dégradées par leur activité, et la loi de 1837 sur la taxation du sucre de quinze francs par quintal, le nombre d’établissements sucriers croît fortement. Les éléments statistiques de 1836 recensent cinquante sucreries dans la Somme et quarante-cinq dans l’Aisne. Ces deux départements se placent respectivement aux 3e et 4e rangs français des départements offrant le plus grand nombre de sucreries, derrière Nord et le Pas-de-Calais. L’Oise ne compte à l’époque que huit établissements sucriers.
L’extension de la culture betteravière en Picardie et la naissance d’un âge d’or (1840-1875)
Pendant que ordonnance du 21 août 1839 dégrève les sucres coloniaux et favorise la production du sucre de canne au dépend du sucre indigène, l’industrie du sucre de betteraves s’organise et se structure en métropole. A partir de 1843, les départements qui par les décrets napoléoniens avaient du contribuer à la culture de betteraves malgré un climat ou des terres peu adaptées, abandonnent cette culture. Celle-ci se concentre alors plutôt dans les territoires du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie. Au début du Second Empire, alors que le territoire national voit la fermeture de 166 sucreries, plusieurs départements marquent leur engagement dans cette industrie. Le Pas-de-Calais devient le premier département producteur de sucre, suivi de très près par l’Aisne. Ce département compte alors trente-cinq sucreries en 1840 tandis que le département de l’Oise en compte quatorze en 1852 et celui de la Somme dix-neuf. Les moyens financiers se concentrent et permettent à de grands groupes industriels de voir le jour. Leur organisation permettent également d’investir et de moderniser les premiers établissements en fonction des avancées technologiques. Le contexte politique du Second Empire et l’abolition de l’esclavage en 1848, qui désorganise l’industrie du sucre de canne dans les colonies, favorise à l’inverse le développement du sucre de betteraves en Picardie.
Jusqu’alors cantonnée au Saint-Quentinois, à la région de Chauny et à une partie du Noyonais, la betterave investit désormais toutes les terres de la région caractérisées par un limon fertile. Après le milieu du XIXe siècle, elle gagne l’ensemble du Compiégnois, la Haute-Somme et le Santerre pour atteindre progressivement ses limites aux confins des herbages de Thiérache à l’est, aux champs céréaliers de Beauvais, d’Amiens et de Doullens à l’ouest. En 1852, dans l’Oise, la culture betteravière est portée à 3 699 hectares, tandis que dans l’Aisne les terres cultivées de betteraves passent de 20 176 ha en 1858 à 31 075 ha en 1866. Cette période est marquée par la création de nombreuses sucreries comme celles d’Hombleux, en 1847, de Tracy-le-Val, de Pierrefonds, de Ravenel ou de Margny-les-Compiègne, en 1851, celles de Berneuil-sur-Aisne, de Ribécourt-Dreslincourt en 1852, de Flavy-le-Martel ou de Rue, lancées en 1855, de Froyères (1856), de Coudun (1858), de Vauciennes (1858), ou de Beauchamps (1863).
Sur l’ensemble de la région, les statistiques de 1865 dénombrent 125 établissements sucriers (76 dans l’Aisne, 23 dans l’Oise et 26 dans la Somme), soit une augmentation de plus de 25 % en l’espace de 20 ans.
Enfin, à l’extension des terres emblavées et à l’accroissement du nombre de sucreries s’ajoutent d’importants progrès techniques qui permettent d’atteindre une productivité sans précédent. Les manèges a écraser sont abandonnés au profit de davantage de chaudières, de machines à vapeur, les lavoirs à tambours, la carbonatation multiple (1865), le remplacement du noir animal par des acides pour la clarification des jus, le développement des fours à chaux, sont quelques unes des inventions directement appliquées à cette industrie. La plus importante de cette période reste cependant l’invention de la râperie, mise au point par un industriel picard, et expérimentée pour la première fois dans son établissement de Moncornet (Aisne).
L’invention de la râperie (1867)
En 1867, l’ingénieur et industriel Jules Linard crée à proximité de sa ferme de Saint-Aquaire (Aisne) la première râperie de France fonctionnant avec la sucrerie de Montcornet, fondée l’année précédente. Le principe, mis au point par l’ingénieur, consiste à effectuer les étapes de lavage et de râpage des betteraves en cossettes et à la fabrication du premier jus par diffusion. Ce jus est ensuite additionné à un lait de chaux et transporté par conduites souterraines jusqu’à la sucrerie, où sont ensuite effectuées les autres opérations de la fabrication du sucre. Généralement implanté à proximité du lieu d’extraction, la râperie permet de réduire le coût de transport des betteraves, qui inclus généralement la remise en état des routes et chemins détériorés par l’activité, ainsi que d’augmenter la productivité de la sucrerie.
Le succès remporté par la mise en pratique de ce système conduit Linard à renforcer son dispositif avec la création de la râperie de Montloué, également reliée à la sucrerie de Montcornet, puis à créer à partir de 1869 la sucrerie d’Origny-Sainte-Benoîte, qui fonctionnera avec un ensemble plus étoffé de râperies.
Le système inauguré par Linard est rapidement adopté dans l’Oise, notamment avec la râperie de Mermont, reliée par canalisation à la sucrerie de Vauciennes.
Dans la Somme, la sucrerie d’Abbeville, fondée en 1872 est également issue de ce système où gravitent cinq râperies Sur l’ensemble du territoire picard, une soixantaine de râperies traitant 150 t. / jour de betteraves existent avant 1914, pour environ un tiers des sucreries. A la veille de la Première Guerre Mondiale, la Somme dénombre 27 râperies, l’Aisne, 28.
La concentration industrielle après la Première Guerre mondiale
Au lendemain de la Première guerre mondiale, l’industrie sucrière picarde est ruinée. Seules quinze sucreries situées en dehors des zones de combat sortent indemnes du conflit. Les terres de culture sont dévastées par quatre années de tranchées, de barbelés, de pilonnages d’artilleries et de milliers de morts. 2,3 % du territoire de la Picardie est déclaré impropre à la culture. Le redémarrage de l’activité sucrière passe donc par une remise en état du sol et des voies de transport, ainsi que par la reconstruction des fermes. En 1921, la surface des terres emblavées est encore inférieure de 40 % à celle de 1914. Il faut attendre 1925 pour que ce travail de nettoyage des terres agricoles soit pratiquement achevé et 1930-1931 pour que l’industrie sucrière retrouve le niveau de production qu’elle avait connu avant 1914. La reconstitution de l’économie sucrière entamée en 1919 provoque un changement radical dans l’organisation de cette industrie, qui a tendance à regrouper ses indemnités de dommages de guerre pour reconstruire un outil de production plus performant. La création de la Société Industrielle et Agricole du Santerre (SIAS), de la Vermandoise de Sucrerie (1925), de la Sucrerie Centrale du Santerre (1925) ou de l’Union Sucrière de l’Aisne avec les usines de Bucy-le-Long ou d’Aulnois-sous-Laon, qui regroupe sept anciennes sucreries illustrent bien ce mouvement de concentration industrielle. Mais c’est surtout la sucrerie d’Eppeville de la Compagnie Nouvelle des Sucreries Réunies (CNSR) qui, en réunissant les indemnités de dommages de guerre de quatorze sucreries environnantes, parvient à former « un monstre industriel », véritable emblème de la modernité et du dynamisme industriel retrouvé.
L’industrie du sucre aujourd’hui : innovations et recherches
La Picardie est à la deuxième place mondiale en ce qui concerne la production de betteraves.
Aujourd’hui, L’industrie des sucres trouve son second souffle dans des applications industrielles novatrices.
Les sucreries, patrimoine industriel
Depuis 1983 le Service Régional de l’Inventaire général du patrimoine culturel a engagé le recensement et l’étude des sites industriels de la région, et en particulier les sucreries, râperies et distilleries ayant existé en Picardie. Ce travail réalisé pour le département de la Somme, ainsi que pour deux arrondissements de l’Oise est actuellement toujours en cours. La liste qui suit est le résultat partiel de cette mission. Elle sera complétée à mesure de l’avancement des travaux de recherches.
Pour tout connaître, en s’amusant, de la betterave sucrière, le Centre de Culture Scientifique Technique et Industrielle, Ombelliscience Picardie, propose l’exposition interactive Douceur de Betterave. Retrouvez le détail de l’exposition (constituée de 8 modules interactifs) sur http://www.ombelliscience-picardie.fr/index.php/ressources/catalogue/biologie . Pour connaître les modalités d’emprunt veuillez contacter l’association au : 03 22 95 73 97 Mail : contact ombelliscience.fr
Sucreries de l’Aisne
La sucrerie d’Origny-Saint-Benoîte
Sucreries de l’Oise
La sucrerie de Berneuil-sur-Aisne
La sucrerie de Crèvecoeur-le-Grand
La sucrerie de Crisolles
La distillerie d’alcool de betteraves de Chaumont-en-Vexin
Distillerie de Chaumont-en-VexinLa sucrerie de Chevrières
La sucrerie et distillerie de Francières
La distillerie d’alcool de betteraves d’Ivry-le-Temple
La sucrerie de Rucourt à Longueil-Sainte-Marie
La sucrerie de Port-Salut à Longueil-Sainte-Marie
La distillerie d’alcool de betteraves du Boulleaume à Lierville
La râperie du Mesnil-en-Thelle
La sucrerie de Monchy-Humières
La sucrerie de Ressons-sur-Matz
La sucrerie de Ribécourt-Dreslincourt
La distillerie d’alcool de betteraves de Serans
Sucreries de la Somme
La sucrerie d’Acheux-en-Amiénois
La sucrerie de Dompierre-Becquincourt
La râperie d’Etricourt-Manancourt
La sucrerie de Feuquières-en-Vimeu
La distillerie d’alcool de betteraves du Mesnil-SaintNicaise
La distillerie d’alcool de betteraves d’Oisemont
La râperie deRâperie de Quesnoy-le-MontantRâperie de Quesnoy-le-MontantQuesnoy-le-Montant
La distillerie d’alcool de betteraves de Rue